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Penser l'actualité, le quotidien et l'histoire sans a-priori et avec un esprit critique.

Le cas Weininger

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Otto Weininger

 

 

 

Otto Weininger s'est suicidé en 1903 à Vienne dans la maison où mourut Beethoven, il avait 23 ans, son livre « Geschlecht und Charakter » (Sexe et caractère) venait d'être publié et l'auteur s'était converti au protestantisme quelques mois auparavant.

Ainsi s'achève dans cette Vienne décadente, où un docteur Freud s'initie aux prémisses de la psychanalyse, ce qui aurait pu être une fracassante entrée dans le cénacle des psychologues et philosophes du 20em siècle.

Parmi les admirateurs de l'ouvrage, il y a Wittgenstein, Ernst Bloch et Lessing qui voyait en lui la « typique haine de soi des Juifs ». Génie décadent pour Rudolf Steiner, « misogynie extrême » comme l'écrira Bergson qui l'a critiqué. Son livre est régulièrement réédité malgré son contenu pour le moins sulfureux : misogynie et antisémitisme. Une demi-douzaine de livres lui ont été consacré.

Weininger, né dans une famille juive où le père était orfèvre, se révèle vite sur-doué. Il connaît, très jeune, le latin et le grec, parle la plupart des langues européennes, y compris le norvégien par amour pour Ibsen, étudie les sciences naturelles, la philosophie, la psychologie.

Passionné par Kant, dont il épouse sans retenue l'idéalisme, il s'affirme zélateur de Wagner et ses héros aryens auxquels il oppose le matérialisme juif. S'ajoute à cette opposition, le sentiment de culpabilité dont seule la mort peut nous libérer. Il se convertit au christianisme qui est, selon lui « la plus haute spiritualité de la plus haute foi ».

La Vienne de 1903, c'est, rappelons-le, la psychanalyse d'un Freud, la musique atonale, le modernisme architectural, la philosophie analytique, Wittgenstein, Mahler, Oskar Kokoschka, Clemens Kraus et un certain Adolf Hitler qui dira, plus tard de « Sexe et Caractère » : « Weininger ? Le seul juif décent que j'aie connu ! ».

Wittgenstein n'hésite pas à le classer parmi les dix penseurs les plus féconds de son temps : « ce livre contient d'importantes vérités » écrit-il à G.E Moore (remarquons au passage que Wittgenstein est le rejeton d'une riche famille viennoise dont les parents juifs se sont convertis, eux aussi, au christianisme). August Strinberg abondera dans son sens, de même que James Joyce et Franz Kafka qui partageront ses conclusions sur les femmes et les juifs.

Weininger développe un système dualiste inspiré de Platon et Kant. Il y a le monde de l'espace et du temps, celui de la sensualité et de la mort et, de l'autre, le monde des intelligences, le monde de la logique, de l'éthique et de la liberté. Dans ce dernier, le sentiment de culpabilité, engendré par l'exacerbation des sens, est absent. Le mode des réalités sensibles, lui, n'a qu'une valeur purement symbolique.

Dans le monde des réalités intelligibles, il y a la femme soit F et l'homme, soit H, tout F, dans la réalité sensible est composé de plus ou moins de « h » (minuscule), la part masculine de la femme, et l'homme (H) contient, lui aussi, des parts de « f ».

Toute l'étude de « Sexe et Caractère » concerne, dès lors, non pas « les femmes », mais l'archétype « La Femme » confrontée à l'archétype « Homme ».

Le livre révèle une tendance paranoïaque qui conduit Weininger à des conclusions supportées par des arguments culturels souvent tronqués où le pseudo-scientifique, la théorie pure, la polémique intellectuelle et des éléments disparates se mélangent les uns aux autres et doivent leur cohérence au génie de l'auteur.

La pensée de Weininger se fonde sur le très kantien sujet transcendantal dont on ne peut démontrer l'existence mais seulement le déduire et qui, seul, permet la perception de la réalité sensible. C'est le sujet transcendantal qui est la source de la plus haute expression de l'esprit humain. C'est le propre du génie de transcender le temps, le génie est « celui qui se souvient de tout parce qu'il est capable de doter chaque moment de sa vie de sens ».

C'est ce soi intelligible qui nous permet de comprendre l'impératif catégorique kantien et donc de donner à l' humanité une dimension morale, cet impératif nous ordonne de traiter les autres comme fin en soi, et non pas en fonction d'autres buts plus égoïstes. Le monde de Weininger est celui d'une Utopie où le respect mutuel couplé à une exacte perception de ce que nous sommes, nous les hommes et les femmes, les animaux et les plantes, devient ferment de génie et de perfection spirituelle. C'est cette même conception qui génère chez l'auteur l'Utopie négative qu'il voit émerger autour de lui.

Quant au femmes (ou plutôt, pour reprendre sa terminologie : la Femme) elle relève elle aussi de la catégorie des humains (l'auteur précise qu'elle n'est ni une plante, ni un animal...) et participe à l'Utopie mais d'une manière purement biologique.

C'est que l'intellect de la femme est dominé par ce que Weininger appelle le « henid » (une « proto-pensée, une pensée brumeuse, une pensée indifférenciée...pour en savoir plus sur ce dernier, consultez les encyclopédies philosophiques), la femme ne peut donc concevoir ce qu'est le sujet transcendantal, ni les concepts purs, encore moins les catégories de l'esprit. La femme est l'être de l'instant, elle ne connaît pas l'éternité, elle n'est pas immorale, mais amorale, elle ne fait la différence du bien et du mal qu'en fonction de sa préoccupation propre. Étrangère, elle reste, à toute considération générale à laquelle elle est inaccessible intellectuellement. Le monde de la femme est le sien où l'autre n'est que dans la mesure où il la reconnaît, ainsi l'homme est celui dont la femme veut qu'il la fasse. La femme n'est que ce que l'homme en fait. La femme est la matière, l'homme est la forme. La femme, être chtonique s'il en est, « sous le «joug du phallus », est incapable de toute expression spirituelle, cette dernière impliquant la renonciation à soi est au-delà de l'intellect féminin. La femme nie l'existence de l'autre si ce dernier n'est pas dans la sienne. L'autre, pour la femme, n'est qu'un rouage. La femme est imperméable à toute métaphysique. Les femmes sont incapables de conscience, elle ne peuvent que calculer l'avantage matériel que leur procure la réalité ambiante. La femme, au mieux, ne peut qu'imiter (parfois avec virtuosité) l'homme.

Son univers est celui de deux pôle, la Mère et la Putain. Elle évolue de part et d'autre de ces derniers.

En un mot, comme en cent : « la femme la plus supérieure est infiniment inférieure au plus inférieur des hommes » (sic).

Ce genre de propos, en 1903, n'est pas exceptionnel, nous nous trouvons dans la ligne d'un Nietzsche ou d'un Schopenhauer (dont l'influence chez Weininger est manifeste).

Il y a chez l'auteur une nostalgie de l'éternité que sa caractérologie reflète par ce dualisme philosophique, l'Homme est le Tout, la Femme le Néant, l'Homme le spirituel, la Femme le matériel dans son expression la plus mortifère et dégradante.

Nous nous trouvons face à un extrémisme radical dont la conclusion nous surprend  elle aussi.

Il n'y a pas d'amour vrai entre l'homme et la femme. Seul l'amour libéré de l'érotisme est vrai. « L'homme doit transcender la sexualité afin de sauver la Femme"  écrit-il en reconnaissant tout de même que cette thèse conduit à l'extinction de l'humanité, ce qui pour lui n'est que détail : la véritable humanité est l’émancipation de notre condition charnelle. La Femme ne sera Femme qu'en cessant d'être femme !

Weininger attache une importance primordiale au « génie », cet être qui a une capacité d’empathie avec l'univers tout entier et qui transcende les notions aliénantes d'espace et de temps. Il en fait partie ! Il ne l'écrit pas, mais c'est évident tout au long de ses lignes.

Sa thèse, qu'il présenté à Freud à qui il demanda de la conseiller à des éditeurs, fut remarquée par ses professeurs qui jugèrent toutefois ses conclusions « fantasmagoriques ». Quant à Freud, pour qui le jeune auteur était une « personnalité frappante et avec une touche de génie », il s’abstint de conseiller l'ouvrage tout en retenant certaines conclusions de son auteur...

Et, paradoxalement, d'endosser pleinement le livre lors de sa parution

Ce que Weininger écrit sur les femmes, il le reprend pour les juifs et le judaïsme catalogué comme « religion femelle », matière que forme, seul et arbitrairement, un Dieu sectaire et jaloux. Les juifs, comme les femmes, sont incapables de transcendance, étrangers à toute métaphysique, sans âme et obsédés par l'espace et le temps. De même que les femmes ne sont que ce que les hommes en font, ainsi en va-t-il des juifs et de leur Dieu. Ils sont imperméables à toute morale et l'antithèse de l'aristocrate. Tout comme les femmes, ils ne se connaissent aucune passion pour l'individualité. Le juif, conclut-il, est le parangon de l'homme moderne, être grégaire qui suit le troupeau, incapable de tout esprit critique et personnel. Tout comme les femmes, les juifs doivent transcender le judaïsme, c'est-à-dire cesser d'être juifs.

Le livre paraît en 1903, onze ans avant la première guerre mondiale, cette boucherie sans précédent, et nourrit, malgré son auteur, l'antisémitisme barbare qui devait marquer les théories nazies.

Weininger est un cas psychologique type. Combat-il à travers sa caractérologie une tendance homosexuelle qu'il sublime par l'écrit ? Nul ne le saura. Est-il, comme on le lui a reproché un « juif ayant la haine de soi », ce n'est pas sûr, même si dans « Sexe et Caractère » il ne se présente que comme « d'ascendance juive ». Quel aurait été son cheminement ultérieur ? Aurait-il surmonté ce juvénil prurit misogyne ? Autant d'interrogations qui restent sans réponses, et pour cause.

C'est un esprit tourmenté et puritain qui vivait en dehors des codes de son époque. Abstinent sexuel, semble-t-il, en marge de la vie mondaine viennoise, ses lettres révèlent un sentiment profond de culpabilité et une attirance morbide pour aborder l'autre face de la mort.

Son christianisme devait être purement idéal. Une croyance en l'Idée en soi, détachée de toute contingence terrestre.

Que faut-il retenir de cette thèse, magistralement développée dans un langage clair et parfaitement compréhensible pour tous ?

C'est un livre qui, en 2011, nous choque et peut faire naître chez le lecteur un certain sentiment de répulsion. Mais il faut savoir le surmonter. Au-delà des délires il se trouve toujours une part de vérité qu'il est bon de remettre en place.

Ainsi le féminisme, considéré par Weininger comme « une forme d'hermaphrodisme qui veut que les femmes deviennent des hommes tout en restant des femmes » ce féminisme qui prône l'égalité entre homme et femme: cette égalité (hors l'égalité ontologique, cela va de soi!) n'existe pas. Pas plus qu'elle n'existe entre une pomme et une poire. Les hommes et les femmes sont différents, et nous pensons que c'est une excellente chose. Le féminisme aujourd'hui demande encore plus : la parité. Or cette revendication est illusoire. Il ne pourra jamais y avoir de parité entre hommse et femmes, les caractères des uns et des autres étant trop dissemblables. Le féminisme, hors l'affirmation de la différence et de l'originalité des sexe, n'est que sophisme.

Il faut prendre l’œuvre de Weiniger pour ce qu'elle : un manifeste anti-moderne qui, en ce début du 20em siècle, à l'aube d'une apocalypse effroyable, rappelle certaines vérités essentielles communes aux hommes comme aux femmes : il ne sert à rien de nier ce que la nature a voulu de tout temps, le faire, c'est jouer aux apprentis sorciers et ouvrir la boîte de Pandore.

Le monde qui est le nôtre aujourd'hui se méfie des héros, prêche un syncrétisme réducteur, nous pousse à épouser une identité de circonstance, nie l'évidente différenciation des sexes et nous entretient dans une fallacieuse illusion d'égalité.

Weininger est de ceux qui, maladroitement sans doute, mais avec force et talent ont tout fait pour remonter le sens de l'époque.

En vain, peut-être...

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A
Peut-on résumer un auteur à son rapport à la question jiuve??? C'est çà croire que cela vous obsède littéralement...
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