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Penser l'actualité, le quotidien et l'histoire sans a-priori et avec un esprit critique.

Aleister Crowley, dernier mage en Occident ?

 

 

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« Refusons  tout ce qui menace la variété de la société hu­maine dans le but de construire un marché pour des produits standardisés. Le progrès de cette pestilence n'est que trop visible à travers le monde. Les hôtels standardisés et les marchandises standardisées ont envahi jusqu'aux districts les plus éloignés, et cela n'a été possible économique­ment que par la suppression forcée de la compéti­tion locale. Les exquis, dignes et confortables vête­ments des peuples lointains, de la Sicile au Japon, doivent céder la place à la vile camelote des usines étrangères, et cela est appuyé par une campagne internationale basée sur le snobisme. Les peuples sont persuadés qu'ils doivent se vêtir comme des ducs sportifs ou des présidents de banques. Un tel plan repose évidemment sur la destruction de tout ce qui fait l'originalité, le respect de soi, l'amour de la beauté et la référence pour l'histoire ».

 

Cette phrase prémonitoire a été écrite par Aleister Crowley, Anglais, dandy, alpiniste hors-pair, helléniste distingué, hébraïsant confirmé, occultiste, né en 1875. A sa mort, en 1947, les journaux titrèrent sur le décès du « most disgusting character in the United-Kingdom ».

Fils d'un richissime brasseur, dont il hérita, jeune, la fortune, Edward-Alexander Crowley, abjurera la foi puritaine et fondamentaliste de ses géniteurs, zélateurs de la secte protestante des Frères de Plymouth. Durant ses études à Cambridge. Il donnera à son prénom la forme celtique d' Aleister, se prononcera pour l'indépendance de l'Irlande, puis, sans plus tarder, assuré de revenus confortables, il se lancera dans l'étude effrénée de l'occultisme sous toutes ses formes.

Dès la fin du 18em siècle, l'occultisme avait repris force et vigueur. En France, l'abbé Constant, alias Eliphas Levi, ressuscite les Rose-Croix, Gérard Encausse, alias Papus, « le Balzac de l'occultisme », crée l'ordre Martiniste, Stanislas de Guaita le secrétaire d'Oswald Wirth fait avec ce dernier l'exégèse fouillée du Rite Ecossais Ancien et Accepté et fréquente les cénacles de Rose-Croix. En Allemagne, dans la même veine nous trouvons Rudolf Steiner, Théodor Reuss et Léopold Engel, instigateurs de l'anthroposophie et d'une remise au goût du jour de l'Ordre du Temple.

 

(Madame Blavatsky et le Rev. Leadbeater)

blavatsky-et-leadbeater-copie-1.jpgEn Grande-Bretagne, ce sont madame Blavatsky et le Révérend Leadbeater qui, après avoir inauguré la franc-maçonnerie mixte, structurent la théosophie. La Golden Dawn (Aube Dorée), issue de maîtres maçons séduit des érudits (dont le poète Yeats et la sœur de Bergson) et reçoit en son sein Aleister Crowley sous le nom de Frater Perdurabo lequel, en outre, fréquente des Loges maçonniques égyptiennes dans des embryons d'obédiences irrégulières (toutes mixtes, fait significatif !), il étudie en plus la cabale, le gnosticisme , le yoga tantrique et met, petit à petit, en place, à partir de ces éléments, un système qui lui sera propre. Il voyage en Inde, Chine, Birmanie, en Russie où il fait la connaissance de Raspoutine, escalade des pics de l'Himalaya et des pentes inédites des Alpes.

Pour lui, il s'agit de réaliser sa nature véritable qui est divine. Ni plus, ni moins, et, pour ce faire, il utilise tout un attirail de recettes qu'il a concoctées sous le vocable vieil anglais de « Magick ».

Séducteur, toutes ses femmes sont des « Scarlet Woman » (Femme Ecarlate), en référence à la putain de l'Apocalypse. Il aime les dévoyer au terme de rituels de magie sexuelle où drogue et sexe sont au menu.

Pour Crowley, nous sommes tous des dieux, mais nous ne le savons pas, c'est pour quoi nous somme limités, seul le travail magique nous permettra de renouer avec notre nature première. La magie consiste à imposer sa volonté à un ordre qui ne paraît indépendant de cette dernière que parce que nous ne voulons pas le dominer. Il se sent investi de la mission de faire en sorte que ses méthodes, convenablement mise en œuvre, aident l'homme à réaliser cette fusion ultime avec le divin qu'il abrite en lui.

Ce n'est pas vraiment nouveau. Avant lui, Maître Eckhart avait déjà déclaré : L'être de Dieu doit être mon être. Dieu et moi sommes un. Ou un Silesius : Chez Dieu, il n'y aura que des Dieux reçus.

Dieu, pour Crowley, est une projection de soi même, c'est un état de conscience que l'on peut atteindre en mettant en avant nos multiples personnalités, en pratiquant un yoga mental et physique dans lequel entrent en composition des drogues et le sexe. Pour lui, drogue et addiction sexuelle ne sont prétextes à chute que pour des esprits sous influence, l'homme libre transcende le risque qu'ils font courir. Ce qui est vite dit !

 

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C'est au Caire, en avril 1904, trois jours durant, que Crowley a la révélation. Un esprit, qu'il nomme Aiwass, lui dicte le Liber Vel Legis composé de trois chapitres et de 220 versets. Volontiers abscons mais bien écrit (en anglais!), poétique à souhait, révélant une profonde connaissance ésotérique, le texte est dominé par les leitmotiv : Do what thou wilt ! (Fais ce que tu voudras) et « Love is the law, love under will » (L'amour est la loi, l'amour soumis à la volonté). Crowley se référant à Rabelais et son abbaye, nomme Thélème son système psycho-philosophique et en fait l'évangile d'un temps nouveau.

Pour Crowley, l'ange Aiwass n'est que la manifestation de son moi le plus profond, la voix étouffée par la carapace matérielle et psychologique qui l'étouffe. Les rites que cet ange lui présente comme salvateurs, il va, sans plus tarder, les mettre en action.

Le Liber présente l'évolution de l'humanité en plusieurs unités de temps, les éons. Celui antérieur à la révélation d'Aiwass est l'éon d'Osiris, caractérisé par le christianisme, religion du Dieu agonisant, dès avril 1904, c'est l'éon d'Horus, l'enfant Dieu qui lui succède, et voit l'humanité accéder à une nouvelle réalisation faite de feu et de violence..

Ces Dieux, cependant, ne sont pas des entités distinctes, mais bien des aspects différents d'une unité fondamentale.

Voilà donc Crowley prophète d'un nouveau système religieux, et comme la Golden Dawn auquel il le présente n'en veut pas, il va l'intégrer dans une structure déjà existante : l'Ordo Templi Orientis.

Cet ordre avait été crée par Théodor Reuss sur la base de système divers (Memphis-Misraïm, Swendenborg, Rite Ecosais Ancien et Accepté). Reuss rencontra Aleister Crowley et en 1910, il admit celui-ci aux trois premiers degrés de l'O.T.O. Deux après seulement, Crowley fut placé en charge de la Grande-Bretagne et de l'Irlande avec la charge de X° de l'Ordre (dernier grade de l'O.T.O. conférant la contrôle sur une aire géographique déterminée). Cet avancement allait de pair avec la communication des degrés maçonniques appelés "Mysteria Mystica Maxima".


Crowley.jpgAleister Crowley va alors étudier tous les documents de l'O.T.O. correspondant à la magie sexuelle et tenir un journal, "Rex de arte regia". Il va ensuite réécrire tous les rituels de l'O.T.O. et la messe de l'Église Gnostique Catholique , le pendant religieux de l'Ordre.

Vers les années 1914, Crowley décida d'intégrer Thelema dans le système de l'O.T.O. dont il révisa alors les rituels. Une nouvelle révision de ces rituels en 1918 en ôta tous liens avec les rituels de la Franc-maçonnerie.

Crowley va dès lors, fonder sa propre Loge, « L'astrum Argentinum» (A'A') et même réunir un phalanstère en Sicile dans ce qu'il nomme « L'abbaye de Thélème » où toutes ses théories sont mises en pratique, ce qui implique sexe, drogue, orgies bi-sexuelles et autres rites de cet acabit. Les autorités fascistes et religieuses y mettront le holà et l'expulseront manu militari.

Vers les années 1920-1921, les rapports entre Crowley et Reuss se détériorèrent, menant à l'auto-proclamation de Crowley en tant que nouveau "Chef Visible de l'Ordre". Après la mort de Reuss, Crowley prétendra que ce dernier lui avait accordé les droits et pouvoirs en tant que successeur. Cette prétention sera souvent remise en cause par d'autres groupes se réclamant de l'héritage de Reuss. Mais en 1925, il est proclamé Maître Suprême pour l'O.T.O.

Sur le plan politique, Crowley est un ultra-réactionnaire, partisan des Stuart, des Carlistes en Espagne et un nostalgique du féodalisme aristocratique. Sa société idéale est une société majoritairement paysanne dont les dirigeants sont les seigneurs et maîtres, tous intelligents et conscients de leur devoir comme il se doit. Aristocratie non héréditaire, œuvrant dans un société où l’aspect mercantile est absent et même prohibé. L'aristocrate, à l'instar du Grec de l'Antiquité, ne travaille pas, il jouit de ses loisirs nombreux pour s'instruire et réaliser ce que Jung aurait sans doute qualifié d'individuation.

Le but de l'existence est donc le loisir et rien d'autre. « Il n'y a pas de but à atteindre, la récompense est la marche elle-mê­me » . Et aussi : « la joie de la vie consiste dans l'exercice d'une énergie, dans un accroissement continuel, dans un changement constant, dans le plaisir des nouvelles expériences. S'arrêter signifie simplement mourir. L’éternelle erreur de l’humanité est de se fixer un idéal accessible ». »


                                                  Aleister en 33° du R.E.A.A

 

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La société nouvelle est celle où l'aristocrate jouit d'une liberté infinie, en totale opposition avec la société victorienne qu'imite servilement la bourgeoisie et que méprise Crowley.

Rien de démocrate, cela va de soi. La démocratie est un système mis en place par des marchands qui engendre l'universalisme, la standardisation et la médiocrité culturelle.

Si Crowley applaudit le fascisme naissant, il s'en détourne dès lors qu'un concordat est signé entre le Vatican et Rome.

Toute civilisation, à l'instar des hommes, naît, se développe et s'éteint, puis en vient une autre. Il y eut l'éon (ou le cycle) d'Isis, celui de la société matriarcale, suivi de l'éon d'Osiris, le Dieu mourant qui détruisit la civilisation antique (cfr. le christianisme), celui d'Horus vient ensuite qui doit mener l'humanité par le feu et le sang à travers des temps catastrophiques, des guerres et des révolutions. On peut le rapprocher du Kali-Yuga des hindouïstes. (Avant la deuxième guerre mondiale et le feu atomique, ce n'était pas trop mal comme prédiction...). Puis viendra l'éon de Mâat à propos duquel Crowley ne nous révèle rien, mais ses disciples en font l'ère de l'équilibre et de la justice. Pour les uns, cet éon est encore à venir, pour d'autres, il est déjà en transition depuis 1948 .

Le déroulement des éons est déterminé une fois pour toutes. Le danger réside dans ce temps inconnu que met le nouvel éon à imposer sa loi et mettre fin à l'influence pernicieuse et dégénérée du précédent, c'est là que le thélémite peut agir grâce à son action magique et tempérer les périodes de troubles et de désolations entre les deux éons en hâtant l'édification de la nouvelle loi.

Dans le Liber Légis, ces thélémites constituent l'élite de de l'humanité, tous sont des illuminés qui règnent sur les non-éveillés, ils sont les nouveaux aristocrates d'une société que prédisaient déjà Nietzsche et Gobineau. Les rapports entre ses grands initiés sont des rapports d'égal à égal, Sans prééminence quelconque.


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Poète, écrivain peintre, Crowley est surtout perçu comme un provocateur compulsif. Se donnant du, « The Beast » (La Bête) ou To Mega Therion dans le grec de l'Apocalypse, 666 (toujours en référence à l'Apocalypse), il pratiquait le blasphème peu soucieux des lois anglaises qui le répriment. Bien sûr, les folliculaires ne manquèrent pas d'épingler cet homme, «  the wickedest man in the world » (« l'homme le plus pervers du monde »).

Etait-il comme le prétendent certains un agent d'Hitler, ou de Churchill, un bolchevique déguisé ? Sans doute ni l'un, ni l'autre. Mais bien un illuminé quelque peu extatique, vivant dans un temps et un espace étrangers au commun des mortels.

Sa doctrine prêche l'avènement de la volonté vraie (true will) chez l'adepte, laquelle s'acquiert au terme d'une ascèse particulière où les rites de magie blanche et noire interviennent à tour de rôle.

Il s'agit d'opérer un dépassement de la nature humaine en la hissant jusqu'aux sphères où résident les dieux. L'alcool, le sexe, les drogues sont des adjuvants sacrés qui facilitent cette ascension et facilitent la prise de conscience de cette nature.

En négligeant l'aspect provocateur de son œuvre, que retenir de Crowley sinon la fascination de cet homme pour l'occultisme dans ses développements les plus extrêmes (encore que les sacrifice humains y soient absents, on n'en demande pas tant!) ? Et puis, cette volonté de faire table rase, de déconstruire l'héritage chrétien et de bâtir une doctrine prônant un individualisme exacerbé issu de la volonté de puissance de l'adepte.

On est aux antipodes du christianisme, des « droits de l'homme », des  valeurs républicaines de liberté, égalité et fraternité, il y va d'un élitisme assumé, imposé et légitimé. Rien, cependant, ne prouve l'efficacité de pareilles œuvres pour atteindre cet état que Crowley promettait à ses fidèles, l'expérience de Crowley est donc purement personnelle et à ce titre intransmissible.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. De la vie qu'un homme a voulu vivre pour lui seul, ce qu'il a parfaitement réussi ! Les drogues, rites orgiaques et autres n'en furent que des parures destinées à sa propre glorification. L'autre, pour Crowley, ce n'est même pas l'enfer, c'est rien !

1182816678.jpegIl meurt en décembre 1947, ruiné, diffamé, haï par les uns, adulé par une coterie, ses cendres ne furent jamais retrouvées.

Ses héritiers lointains, nous les retrouvons dans le restes de l'Hermetic Order of the Golden Dawn, et de l'Ordo Templi Orientis (O.T.O) revu et corrigé. Quelques trois mille fidèles revendiquent, même sous inventaire, son héritage.

Il est sans doute, avec Gérald Gardner et Margaret Murray l'inspirateur de la Witchcraft, plus connue aujourd'hui sous le nom de Wicca, résurgence de l'antique sorcellerie, mais épurée et mise au goût américain. Elle compte des dizaines de milliers d'adeptes surtout aux Etats-Unis.

« Je me sens toujours de l’âge d’environ 18 ou 20 ans; je regarde toujours le monde avec ces yeux-là. C’est mon regret constant de voir que les choses ne s’accommodent pas toujours à ce point de vue; et c’est ma mission éternelle de sauver l’univers en lui faisant retrouver cet état d’innocence enivrée et de sensualité spirituelle. »

C'est joliment écrit, c'est aussi oublier que la vie est un passage, voire un voyage au bout de la nuit et que la mort nous attend tous à son terme. L'homme est poussière et retournera en poussière, le péché d'orgueil veut que nous nous prenions pour Dieu, mais la Parque nous rappelle à la cruelle réalité de notre être : la mort !

Cette mort dont Le Mage doit jouir aujourd'hui.

En paix, espérons-le !

 

 

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