Penser l'actualité, le quotidien et l'histoire sans a-priori et avec un esprit critique.
Pia Petersen
Il y a d'heureuses rencontres qu'on regrette ne pas avoir faites plus tôt. Je puis en témoigner après celle de madame Pia Petersen, danoise d'origine qui écrit en français.
Le français, elle l'a appris à la faculté, où elle a étudié la philosophie, mais aussi dans les rues y compris ses quartiers les plus interlopes. De quoi forger une langue, la tourner et retourner et mettre en relief ses facettes les plus subtiles . Dans cet art, le propre de l'écrivain, Pia Petersen excelle, mais sans ostentation, sans qu'à aucun moment l'auteur ne prenne le pas sur l'écriture.
Si elle était musicienne, au pupitre des bois, elle serait le flûtiste, qui donne le « la ».
Dans son roman « Une fenêtre au hasard », publié en 2005 chez Actes Sud, elle nous décrit en lignes sobres et pointillées, un peu à la manière d'un Seurat, l'histoire d'une femme qui se croit laide et insuffisante. En face de sa chambre il y a une fenêtre qui jamais ne s'ouvre, jusqu'au jour où un homme y paraît. Elle ne le connaît pas, mais, sans savoir pourquoi, cette arrivée inespérée l'émeut, dans le sens le plus étymologique du terme ; elle se sent projetée vers cet « autre » dont elle veut qu'il ne soit plus un non connu.
Alors, elle qui vit seule, s'inventant des relations et des histoires à raconter au bureau, elle l'épie, cet homme et, durant des heures, jumelles aux yeux, le regarde vivre dans ce chez soi dont elle prend possession.
Et elle lui parle, à cet homme qu'elle finit par connaître en chipant son courrier qu'elle lit et restitue aussitôt. Elle fait de lui son confident et le répondant de ses longs monologues, le héros d'une histoire que, jour après jour, elle couche sur le papier, et qui devient bien vite une histoire d'amour.
Pia Petersen, en petites phrases sobres nous conte le désarroi de l'âme seule qui veut se donner à l'autre dans un irrésistible besoin d'attachement. Roman de la solitude, « Une fenêtre au hasard », est aussi celui de l'amour, même désespéré, sans lequel, pour reprendre le thème d' « Au-dessous du volcan », « no se puede vivir », on ne peut vivre.
L'homme en face, finit par réaliser qu'il est épié, il rencontre, sans la reconnaître, celle qui le harcèle et se demande in fine si ce n'est pas elle la cause de son malaise, mais il ne lui en veut pas et finit par se sentir affreusement seul lui aussi.
Deux solitudes qui se conjuguent à distance et se rencontreront peut-être au détour d'une phrase, d'un chapitre... ou jamais.
« Je me sens si bien quand il est chez lui, c'est comme si nous étions tous les deux , seuls au monde mais ensemble ». (page 69).
La recette du bonheur est peut-être là : vivre seul avec le sentiment de la présence de l'autre.
Le style de madame Petersen est pareil à une brume légère qui ,au détour d'un mot, laisse transparaître un soleil éclatant, puis retombe enveloppant les choses et les gens dans leurs éphémères et pathétiques secrets.
Secrets que nous emporterons tous avec nous, malgré Pia Petersen qui, elle aussi, depuis sa fenêtre, nous en arrache des bribes...