C’est un personnage curieux que je vous propose de découvrir : Paul Feyerabend, un Allemand, docteur en sciences et philosophe. Il étudie sous la direction de Karl Popper. Après avoir, un temps, soutenu sa théorie de la réfutabilité, il la combattra. Il publie en 1979 « Contre la méthode : esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance. » (Seuil 1979), ouvrage qui soulèvera un tollé et le rendra célèbre.
Le moins qu’on puisse dire est que cet ouvrage est provocateur et innovant, en voici une analyse succinte.
Karl Popper (1902-1994), son mentor, affirmait que toute vérité scientifique doit être réfutable : c’est sa théorie de la réfutation.
C’était déjà une révolution en soi. Les milieux scientifiques estimaient qu’à partir d’une série d’observations identiques on pouvait tirer une conclusion générale. L’affirmation : « les corbeaux sont noirs », tirée de l’observation d’un nombre important de corbeaux pouvait conclure à la proposition : » tous les corbeaux sont noirs ». Cette manière de procéder s’appelle l’induction.
Or il arrive qu’un corbeau soit albinos !
Popper refuse cette induction et il élabore une théorie de la réfutation.
N’est scientifique, qu’une théorie qui est réfutable.
« Il existe un serpent de mer » est une phrase irréfutable puisqu’il est impossible de prouver qu’elle est fausse. Elle n’est donc pas scientifique.
Mais : « Il existe un serpent de mer actuellement au British Museum », est une proposition réfutable, donc vraie !
Et Popper de préciser qu’une théorie scientifique doit non seulement être réfutable mais aussi non réfutée !
Paul Feyerabend (1924-1994) ira plus loin dans la critique de la méthodologie scientifique.
« La science est une entreprise essentiellement anarchiste » écrit-il dans son célèbre ouvrage « Contre la méthode ».
Comme Popper, il s’oppose à l’inductionisme, mais critique la réfutation de Popper. Il est impossible, pour Feyerabend d’abandonner une théorie scientifique qui a été réfutée : » car une telle manière de faire effacerait la science telle que nous la connaissons et n’aurait pas permis qu’elle commence ».
La vérité scientifique n’est donc qu’un leurre !
Les diverses théories scientifiques qui s’affrontent au cours de l’histoire ont chacune leurs propres critères de validité. Or, souligne Feyerabend, les critères qui conduisent à adopter telle théorie plutôt qu’une autre sont subjectifs. Ce sont des jugements de goût, des préjugés quasi métaphysiques. Et, ultime provocation, Feyerabend écrit qu’en fait s’il n’y a pas de critère objectif pour comparer des théories scientifiques différentes il n’y a pas non plus d’argument décisif pour préférer la science à d’autre forme de savoir.
Ainsi, ajoute-t-il, les mythes sont aussi dignes d’intérêt que les théories scientifiques.
« La science et les mythes se chevauchent de bien des manières ».
Et il récidive dans la provocation en lançant : « …il s’ensuit que la séparation de l’Eglise et de l’Etat doit être complétée par la séparation de l’Etat et de la science : la plus récente, la plus agressive et la plus dogmatique des institutions religieuses. »
Vous vous doutez bien que ce genre de position ne laisse pas indifférent : les critiques furent donc sévères voire indignées.
Si l’aspect parfois anarchique de la genèse de la recherche ne peut être contesté, les scientifiques « orthodoxes » répliquent en soulignant que la méthode scientifique est la rationalisation a posteriori d’un mode de travail qui n’a rien de rationnel. Mais ce n’est pas parce que cet aspect est contradictoire et entaché d’erreurs dans son développement qu’il ne conduit pas à une vérité scientifique dans sa conclusion.
D’autres sont moins virulents, ainsi l’école dite « la nouvelle sociologie des sciences », postule que le savoir scientifique procède de l’accord entre les membres de la communauté plutôt que de faits et preuves incontestables.
Nous avions Gödel et son célèbre théorême d’incomplétitude qui nous fait douter de la validité des bases sur lesquelles reposent les mathématiques.
Schrödinger et son chat ont mis en reliëf les paradoxes de la physique quantique.
Popper propose comme critère de validité la possibilité de réfuter une thèse.
Et Feyerabend introduit le concept d’anarchie dans le méthode scientifique.
A sa suite, Alfred Tarski nous démontrera qu’aucun système ne dispose de moyens suffisants pour s’autoexpliquer.
Tout serait donc relatif ?
Sauve qui peut !