IIl s'appelle Abdennour Bidar, il est Français et a trente-cinq ans. Il est le fils d’une mère française, médecin et convertie à l’islam.
Agrégé de philosophie, il enseigne sa discipline à l’Université de Nice.
En 2006, il a publié un essai remarqué : « Self Islam » (Seuil).
Sa thèse repose sur le constat suivant : d’une part, un Occident d’où le spirituel a été évacué ou anémié, de l’autre un islam où le spirituel est exacerbé, instrumentalisé à des fins politiques et contestataires et où la liberté est absente.
L’islam, écrit Bidar, est un monothéïsme et tout monothéïsme est un personnalisme. C’est Allah qui, petit à petit, s’imprègne tout entier dans la personne du croyant ; l’absolu qui va vers le relatif, Dieu qui se fait homme chez les chrétiens.
L’Europe, poursuit-il, est déspiritualisée, l’islam est stratifié par tout un ensemble d’interdits et d’obligations qui empêchent le fidèle d’exercer sa liberté et son libre-arbitre.
Or, ces concepts de liberté, d’égalité entre les hommes et de fraternité ne sont que la laïcisation, opérée par les philosophes des Lumières (Kant le premier), de concepts éminement religieux.
L’Occident et ses valeurs, même en décomposition, sont une chance pour l’islam car elles permettront aux musulmans européens de mettre en œuvre lel s’appelle Abdennouur liberté et d’exercer leur esprit critique.
La thèse de son essai est qu’il y a en islam des interdits et des obligations. Or, ces impératifs n’interdisent et n’obligent que celui qui veut s’interdire et s’obliger. L’islam propose en quelque sorte des recettes pour que chacun puisse y puiser pour l’xercice de sa propre spiritualité.
Si les cinq prières quoitidiennes sont un fardeau, que vaut la prière ? Si le jeûne n’est qu’un malaise et une attente névrotique de sa rupture, pourquoi jeûner ? Si le pèlerinage à La Mecque n’est qu’un ticket d’avion aller-retour, pourquoi y aller ?
Le musulman européen serait celui qui choisit en fonction de sa liberté et de son inspiration religieuse.
« …si Untel veut s’interdire quelque chose que le Coran présente comme interdit, si Untel veut s’obliger à quelque chose que le Coran définit comme une obligation, alors il faut lui en laisser le choix. Ce que le Livre interdit ou ordonne ne sont que des interdictions ou des obligations possibles. » (page 220)
Et il va plus loin encore : « Parmi tout ce que propose le Coran, de quelles pratiques ai-je personnellement besoin, ici et maintenant, pour conduire ma vie spirituelle ? » Untel n’aura besoin que de la prière, un autre du jeûne, un troisième encore d’égrener son chapelet comme le font les soufis » (page 221)
Il y a de quoi faire bondir les oulémas. C’est un véritable choix « à la carte » qu’il justifie ainsi : « …c’est une parole du Prophète – là encore un reflexe typique- qui énonce que le musulman, approfondissant sa démarche spirituelle, passe de l’islam (la soumission) à l’iman (la foi), puis de l’iman à l’ishan (l’excellence). Autrement dit , l’islam n’est que la première étape de l’islam…Ou pour l’exprimer plus clairement, le musulman est invité à dépasser l’islam comme soumission pour aller vers l’ishan. » (page 229)
Cette excellence, il la compare à l’arété d’Aristote, soit cette perfection que l’homme atteint quand il a découvert ce qu’il avait au fond de lui même et qu’il agit en fonction de sa nature profonde.
Hérésie vient d’un mot grec qui signifie « couper » ; l’hérétique « coupe » du texte ce qui ne lui convient pas. Est-il hérétique, Abdennour Bidar ?
Je laisse aux doctes muftis le soin de répondre, je constate simplement ceci : Bidar n’annule rien du Coran, il ne touche pas à son essence (Il n’y a qu’un Dieu et Muhammad est son Prophète), il déclare tout simplement que le Coran est un plateau sur lequel on prend ce qui convient à sa propre spiritualité. On s’oblige, on s’interdit librement. N’est pas un mauvais musulman pour lui, celui qui ne pratique pas les prières ou le Ramadan, ou le fait à son rythme. Le pélerinage à La Mecque n’est que l’extériorisation d’un voyage intérieur bien plus utile pour « ré-orienter » l’âme qu’un billet d’avion .
Bidar privilégie ainsi l’esprit à la lettre.
Sa thèse est séduisante. Elle pèche cependant sur un détail d’importance : elle s’adresse à des gens raisonnables et instruits, des gens qui ont un sens critique, qui réfléchissent et sont conscients de leur individualité.
Or, la masse, des musulmans ou des autres catholiques, évangéliques, athées etc, préfère croire que savoir, suivre plutôt que découvrir, obéir plutôt que réfléchir.
Suivre des rites sans se poser des questions est rassurant. Dire à un homme : fais ceci ; c’est bien, ne fais pas cela ; c’est mal, l’endort mais le conforte… la foi du charbonnier…
Suivre un maître, plutôt que d’être son maître.
A son actif aussi, ce plaidoyer pour un islam européen coupé de l’ethnocentrisme qui caractérise encore trop la pratique de l’islam dans notre continent.
L’islam est la deuxième religion en Europe et le restera. Mais si l’islam est en Europe, ce n’est pas pour islamiser le continent, c’est pour en épouser les valeurs et les intégrer dans sa pratique religieuse.
Pas question, pour Bidar, de pratiquer le communautarisme, c’est-à-dire, reconnaître une spécificité aux musulmans d’Europe, ce serait les enfermer dans un ghetto et faire la part belle aux extrémistes. La Grande-Bretagne s’y est essayée avec les drames que l’on connaît.
La thèse de Bidar est dérangeante, provocatrice même, mais le personnage est intéressant, lui qui a longemps vécu une schizophrénie traumatisante : être Français, pure souche et … musulman