Posons-nous la question : l’homme désire-t-il la vérité ? Et pourquoi ?
Rien n’est moins sûr. Il recherche d’abord son intérêt, son confort matériel et intellectuel. Si la vérité dérange, sa recherche dérange plus encore.
Aristote disait que l’homme est un être qui veut connaître. C’est faux, hélas. L’homme est un être qui, à tout prendre, préfère croire. C’est plus facile et confortable.
Alors que faut-il penser de ces hommes, une minorité, qui cherchent la vérité ?
Cette recherche est-elle sincère, spontanée, exempte de toute arrière-pensée ?
Nietzsche et, à suite, les autres philosophes dits « déconstructeurs » ont analysés les motifs qui poussent les hommes à cette recherche et, partant, cerné le concept de vérité.
Kant, un philosophe classique, n’a jamais mis en critique la valeur de la vérité et a toujours prôné, notre soumission au « vrai ».
Pour ce dernier, la pensée « tend au vrai », elle aime le vrai.
Nietzsche ne met pas en doute la volonté de vérité (même si les hommes, en fait, ne l’aiment pas plus que ça). La question que se pose Nietzsche est : qu’est-ce que le concept de vérité ?
Quelles forces et quelle volonté ce concept présuppose-t-il ?
C’est le « vrai » lui-même que Nietzsche va critiquer.
Souhaitons-nous le vrai, ou le non-vrai, ou l’incertitude ou l’igonrance, interroge-t-il ?
Si vérité il y a, il qualifie un monde véridique. Un monde véridique suppose un homme véridique auquel ce monde renvoie. Qui est ce dernier ?
C’est un homme qui ne veut pas être trompé parce que c’est dangereux et nuisible.. Mais, dans cette hypothèse, le monde doit déjà être véridique. Si le monde était faux, c’est la volonté de ne pas être trompé qui devient dangereuse et nuisible.
On le voit, la volonté de vérité se forme « malgré le danger et l’inutilité de la vérité à tout prix ».
Et si cet homme voulait la vérité pour ne pas tromper, pour ne pas se tromper lui-même ?
Et si, en définitive, cet homme qui cherche la vérité la cherchait non pas au nom de ce qu’est le monde, mais au nom de ce que le monde n’est pas ?
La vie peut éblouir, égarer, dissimuler, tromper. Pourquoi déprécier cette puissance du faux ?
C’est ce que fait celui qui veut le vrai.
Il va opposer à la vie la connaissance et, au monde, un autre monde, le monde « véridique ».
Ce monde « véridique » est inséparable de la volonté du chercheur de traiter l’autre monde comme apparence.
D’où opposition entre la connaissance et la vie et opposition des mondes qui dévoilent leur origine : ce sont des oppositions morales.
L’homme qui ne veut pas tromper veut un monde meilleur, pour des raisons purement morales.
Cet homme, animé par cette morale et qui veut le vrai (c’est-à-dire « son » vrai) , va faire la part des torts. Il va rendre responsable, dénoncer, accuser…
Il va corriger l’apparence et vouloir même que cette apparence se renie elle-même.
En somme c’est une volonté de faire du monde, un monde vertueux.
Mais le monde, est-il vertueux ? Doit-il l’être ?
Et pourquoi vouloir un monde vertueux et rien que vertueux ?
Parce que ce type d’homme, animé par un idéal ascétique, n’aime pas la vie.
Il exerce à son encontre une volonté de néant.
Or la vie n’est pas vertueuse. Elle est au-delà de cette qualification. La vertu n’intéresse pas la vie. C’est une catégorie qui lui est étrangère.
La vie est telle quelle et ne peut se contredire. Elle n’est pas responsable, on ne peut la mettre en accusation.. La volonté de rendre cette vie vertueuse, de l’anéantir comme l’a voulu Schopenhauer, comme le veulent encore les bouddhistes est une volonté de néant, un nihilisme. C’est en niant la vie que l’on définit un ordre de valeurs, les valeurs supérieures niant la vie elle-même (Schopenhauer) et ces valeurs (dites « supérieures) sont la connaissance (le vrai), la morale (le bien), et la religion (le divin).
Mais que valent encore ces valeurs si elles se dressent contre la vie qui n’est pas totalement vraie, bonne et divine ?
D’autres penseurs, et notamment Heidegger, reprendront ce concept de vérité.
Seulement voilà : aujourd’hui, comme hier, la vérité est évanescente.